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Intervention du 15/12/09

Aides d’Etats et sortie de crise : le cas de l’Europe

Bien que le marché commun ait résisté aux pressions d’une crise qui a bouleversé les rapports entre acteurs économiques privés et puissance publique, L’Europe, comme d’ailleurs le reste du monde, ne sortira pas indemne de la crise financière systémique qui a ébranlé les marchés mondiaux et qui continue à produire ses effets. L’économie européenne est encore sous perfusion et l’emploi est le grand perdant.

La sortie de crise exigera des choix drastiques, lorsqu’il s’agira non seulement de remboursement des aides d’Etat par les bénéficiaires, mais de réduction de la dette publique.

 Article publié dans le magazine Eyes On Europe, décembre 2009 - mai 2010, n°11

L’Europe, comme d’ailleurs le reste du monde, ne sortira pas indemne de la crise financière systémique qui a ébranlé les marchés mondiaux. Depuis son déclenchement en 2008, cette crise produit encore ses effets. Ce n’est que grâce à des interventions étatiques de toute nature, depuis les plans de relance jusqu’aux aides aux entreprises en difficultés, voire aux nationalisations, que le pire a été évité. Pour autant, l’économie européenne est encore sous perfusion et l’emploi est le grand perdant.

Les G 20 qui se sont succédé depuis plus d’un an au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement ont esquissé des solutions globales. Mais rien de décisif ne semble avoir été arrêté. Rien qui empêche en tous cas les marchés financiers de s’emballer de nouveau, au risque de provoquer une crise du même genre. La prise de conscience existe, mais la volonté commune de bâtir une gouvernance financière mondiale peine à s’affirmer.

En Europe, l’impact économique, social, politique et psychologique de cette crise ne peut être encore exactement mesuré. La capacité de redressement des économies des vieilles nations de l’Europe est moindre que dans les pays où le marché du travail est plus flexible et les garanties sociales moins fortes, comme c’est le cas aux Etats-Unis et dans les grands pays émergents. Le modèle européen est plus égalitaire et protecteur que bien d’autres et les changements sont moins facilement acceptés par une opinion publique que les gouvernements ont du mal à mettre en face des réalités.

Devant le danger d’effondrement du système bancaire, les responsables politiques européens ont néanmoins cette fois-ci fermement réagi, et ils l’ont fait en coordonnant leur action. L’Union européenne (UE) n’a pas démérité. Elle a su tirer parti des règles communautaires sur les aides d’Etat pour préserver le marché intérieur, qui risquait d’être sérieusement mis à mal par des interventions étatiques massives dans l’économie.

Ces règles ne sont pas nouvelles. Elles datent du traité de Rome. Ses auteurs étaient conscients de la tentation naturelle qu’ont les Etats à vouloir soutenir leurs entreprises pour les renforcer face à la concurrence, au grand dam… de la concurrence et de la cohésion du marché commun.

Mon propos est d’abord de montrer comment le marché commun a résisté aux pressions d’une crise qui a bouleversé – au moins provisoirement – les rapports entre acteurs économiques privés et puissance publique. Il est ensuite d’alerter sur les aléas d’une sortie de crise qui exigera des choix drastiques, lorsqu’il s’agira non seulement de remboursement des aides d’Etat par les bénéficiaires, mais de réduction de la dette publique.

Les aides d’Etat aux banques, une action concertée et encadrée

La façon dont les Etats membres de l’UE réagiraient à cette crise n’était pas écrite d’avance. Alors que le « credit crunch » commençait à ébranler l’ensemble du système et à mettre les banques réputées les plus solides et performantes au bord de la faillite, l’urgence pour les Etats était avant tout de venir à la rescousse de leurs champions financiers, dont dépend le crédit aux entreprises et aux ménages. Certains Etats auraient aimé au passage se débarrasser des contraintes communautaires liées au respect du droit de la concurrence et des aides d’Etat. Après tout, n’a-t-on pas remisé au rang des accessoires les critères de Maastricht destinés à maîtriser les déficits et la dette publics ?

Il faut rendre à César ce qui appartient à César : il revient à Neelie Kroes d’avoir surmonté la résistance de ces Etats qui réclamaient la suspension de la légalité communautaire pendant le temps de la crise. Or très vite, tous ont admis que les règles sur les aides d’Etat appliquées de façon pragmatique dans un contexte de circonstances exceptionnelles avaient leur vertu, car elles assuraient la coordination des plans d’aides d’Etat décidés par les gouvernements.

Depuis le traité de Rome, le principe est que les aides d’Etat, a priori soupçonnées d’entraîner des distorsions de concurrence incompatibles avec le marché commun, sont interdites. Elles ne sont autorisées que par exception sous certaines conditions les rendant compatibles avec ce marché.

Parmi les motifs d’exception, figure la nécessité de « remédier à une perturbation de l’économie d’un Etat membre » (article 87 § 3 b) du traité de Nice). C’est ainsi que la Grèce, confrontée à de fortes difficultés économiques, avait demandé en 1987 de bénéficier de cette exception. Cela lui avait d’ailleurs été refusé. Aujourd’hui, ce n’est plus un seul Etat, mais l’ensemble de l’Union européenne qui est confronté à la crise. Or il s’est avéré que la disposition en cause pouvait fonder en droit des plans d’aides d’Etat aussi importants que ceux lancés en 2008/2009 tout en assurant un certain contrôle de la Commission. Tout projet d’aide d’Etat en effet doit, selon le traité, être notifié à la Commission qui vérifie sa compatibilité avec le marché commun.

En l’occurrence, la Commission a fait preuve de réalisme et de réactivité. L’absence de véritable précédent à cette crise lui a permis de préciser les conditions à respecter par les plans d’aide d’Etat sur le fondement de l’article 87§3 b) du traité. Un mois après la retentissante déconfiture de la banque d’affaires Lehmann Brothers le 15 septembre 2008, la Commission publiait le 13 octobre une première communication sur les garanties de prêts accordées aux banques et sur leur recapitalisation. Puis vint entre décembre 2008 et juillet 2009 une série d’autres communications sur le traitement des avoirs « toxiques », au besoin par la voie de leur reprise par des « bad banks », et sur les modalités du contrôle de la Commission afin d’éviter les distorsions de concurrence entre banques et entre Etats.

Des aides assorties de contreparties financières, économiques et éthiques

9 Etats sur les 27 (Bulgarie, Chypre, la République tchèque, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, l’Estonie, la Lituanie et Malte) ont renoncé à mettre en place des plans d’aide d’Etat. Il faut dire que plusieurs de ces Etats, face à la forte chute du taux de change de leur monnaie, se trouvaient contraints de solliciter eux-mêmes des aides de la part de l’UE et du FMI (Lituanie, Roumanie…)

Les 16 Etats membres ayant adopté des plans d’aide d’Etat aux banques ont âprement négocié avec la Commission européenne le contenu de ces plans consistant principalement à garantir les prêts consentis par les banques sur les marchés, et à leur apporter des fonds propres pour renforcer leur solvabilité. Au total, les garanties d’Etat octroyées se sont élevées à 2900 milliards d’euros et les apports en fonds propres à 313 milliards d’euros. Du jamais vu dans l’histoire européenne.

Pour autant, ces aides ont du respecter les principes essentiels du traité européen, à savoir que les aides ainsi apportées grâce à l’argent du contribuable doivent être temporaires, limitées à ce qui est nécessaire pour permettre aux bénéficiaires de redevenir autonomes, et rémunérées à un prix le plus proche possible des conditions du marché. C’est sur ce dernier point que les négociations ont été les plus laborieuses, les banques souhaitant naturellement réduire autant que faire se peut le taux de rémunération des aides. Ce taux a été fixé à environ 8%, ce qui a permis aux gouvernements de rassurer l’opinion en précisant que les aides étaient loin d’être à fonds perdus.

Plusieurs plans comportent des contreparties économiques chiffrées. Par exemple, le plan français conditionne les aides à une augmentation des encours de crédits aux PME et aux ménages de 3 à 4% par an, chiffre sans doute pas encore totalement atteint.

De plus, au nom du principe suivant lequel l’argent du contribuable ne doit pas servir les intérêts privés, mais uniquement l’intérêt général du redressement de l’économie, la Commission a rappelé aux banques bénéficiaires qu’elles devaient s’abstenir de toute politique de marketing agressive pour procéder à des opérations de croissance externe, et que ces opérations ne devaient pas s’appuyer sur les fonds provenant des aides d’Etat. Certains plans d’aides d’Etat imposent par ailleurs aux bénéficiaires une politique « prudente » dans la distribution des dividendes, voire une limitation des rémunérations des dirigeants (en Allemagne, le plafond est de 500 000 euros par an) et des traders.

On voit ainsi comment à travers les plans d’aide d’Etats, le marché intérieur et le droit de la concurrence permettent d’élargir les compétences de l’UE. En principe, la Communauté européenne n’a pas compétence pour fixer les systèmes de rémunération. Toutefois, dès lors que les bonus de toute nature ont été jugés largement responsables de l’emballement des marchés, la Communauté retrouve le pouvoir de les encadrer comme elle le fait actuellement à travers la modification de la directive dite « Bâle II » sur les fonds propres règlementaires des banques, qui lie exigences de solvabilité à limitation des bonus. Demain, il se pourrait bien que des comptes soient demandés à certains bénéficiaires ne respectant pas les engagements de modération des rémunérations pris à l’occasion des conventions passées entre les Etats et les banques bénéficiaires.

Aides à l’économie réelle et sauvetage des PME

Le 26 novembre 2008, la Commission lançait le plan européen de redressement économique, visant à soutenir l’économie réelle et à restaurer la confiance des investisseurs et des consommateurs. Pour autant, les plans d’aide d’Etat à l’économie réelle ont été plus ponctuels que les plans d’aide au système bancaire. Par ailleurs, au lieu de créer de nouveaux outils, ces plans ont mobilisé des instruments existants en les renforçant.

La Commission a listé un certain nombre d’aides jugées compatibles avec le marché commun, en encourageant les Etat à les utiliser notamment au profit des PME spécialement touchées par la crise. Les Etats ont été invités à mettre en place des subventions de 500 000 euros par entreprise, des garanties d’Etat aux prêts aux entreprises, des prêts avantageux pour inciter à la fabrication de « produits verts », à octroyer du capital risque jusqu’à 2,5 millions par PME par an et à faciliter le crédit à l’export. 44 plans ont été validés par la Commission sur cette base.

En Allemagne et en France, en particulier, des plans d’aides à l’industrie automobile et aux équipementiers ont été mis en œuvre à hauteur de plusieurs milliards d’euros. La "prime à la casse", aide indirecte aux industriels, a rencontré un tel succès que le gouvernement américain en a adopté le dispositif.

Conséquence intéressante de ce processus : alors que les aides ne devaient bénéficier qu’aux entreprises en bonne santé avant la crise, on s’est aperçu que nombre de secteurs industriels et de services auraient exigé bien avant des réformes de structures. Ce qui pourrait à terme influencer la politique de la Commission vis à vis des entreprises.

Et maintenant ?

Dresser le bilan de la crise du point de vue de l’Europe serait prématuré. On peut toutefois l’esquisser :

1. L’UE a su préserver l’essentiel, à savoir les règles du Grand Marché, lequel reste l’un des meilleurs atouts de la construction européenne.

2. La Commission a joué son rôle en définissant le cadre juridique des plans d’aides d’Etat et en contrôlant plan par plan, la compatibilité des actions envisagées avec le marché commun.

3. La crédibilité de la nouvelle Commission dépendra de la façon dont elle saura contrôler l’exécution de ces plans (les Etats doivent lui adresser sur ce point un rapport semestriel) au regard des règles qu’elle a elle-même établies au fil de ses communications.

4. S’il est vrai que la vogue de la dérégulation à tous vents devrait s’achever, la chance de l’Europe réside dans sa capacité à se doter d’un dispositif règlementaire efficace et raisonnable, qui puisse servir de modèle aux autres pays du monde, en particulier en matière de supervision bancaire.

5. La malchance de l’Europe serait qu’elle rate sa sortie de crise, du fait de l’incapacité de certains Etats dont la France à régler la question des déficits publics qui hypothèque l’avenir et fragilise l’un des plus forts symboles de l’union des Européens : l’euro.

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