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Entretien du 2/04/09
Jean Lemierre
Ancien Président de la BERD

Il est fondamental que le G20 s’occupe des pays émergents

 Quelles sont selon vous les causes profondes de la crise financière inédite que nous vivons aujourd’hui ?

Trop d’endettement !
La raison de cet endettement massif provient : d’une part de l’abondance de liquidités bon marché, d’autre part d’un manque incontestable de professionnalisme dans de nombreuses banques - caractérisé par une mauvais appréciation du risque, totalement occultée par une recherche de profit à court terme - et enfin de défauts dans la régulation et la supervision bancaire, liés notamment à la fragmentation du contrôle. Tout cela a participé à la création de "bulles" et à des niveaux d’endettement très élevés qui au moindre choc sont devenus totalement insupportables, entraînant l’écroulement du système.

On peut ajouter à ces raisons un autre paramètre qui est la trop grande sophistication d’un certain nombre d’instruments. L’imagination financière est normale, mais il faut que les règles et les contrôles soient à la hauteur de l’imagination. C’est précisément ce qui n’a pas fonctionné.

En quoi la tendance à déréguler les marchés financiers, notamment en Europe, ces dernières années a contribué à cette crise ?

Une activité financière doit être régulée. Je crois en effet qu’il y a des limites importantes à l’autorégulation en matière financière, domaine dans lequel les repères sont parfois très difficiles à fixer. La notion de dérégulation est une notion compliquée, qu’il convient de préciser. Il y a deux mouvements qui, de mon point de vue, ont été excellents : la dérégulation et la globalisation, dans le sens où ils ont permis une meilleure allocation du capital et au cours des dix dernières années, des transferts de capitaux importants notamment vis-à-vis des pays émergents, comme jamais nous n’aurions pu l’imaginer dans la période précédente. La dérégulation telle qu’elle a été conçue dans les années 80, par rapport à l’étatisation, a donc été une bonne chose.

Ce qui est critiquable ce n’est pas la dérégulation mais les dérèglements de la dérégulation. Le système s’est emballé dans la période récente, c’est-à-dire à partir des années 2000. Nous avons vu des crises apparaître comme la crise LTCM (Long Term Capital Management – un hedge fund dont la quasi faillite fin 1998 avait mis en lumière d’importants risques systémiques) ou la "bulle Internet" du début des années 2000. Pris de peur par la perte de ces valeurs (télécom et nouveaux médias), les opérateurs ont considéré qu’il y avait probablement des excès. Or, la bulle ayant finalement été assez bien absorbée et ces incidents ayant été franchis correctement, un certain sens de l’impunité s’est développé. Ceci s’est par exemple manifesté par un accroissement d’effets de levier dans des conditions tout à fait inacceptables . Il ne s’agit donc pas de phénomènes très anciens. Les dérèglements du financement par la marché sont relativement récents.

Certains acteurs sont aujourd’hui montrés du doigt comme les agences de notation, mais elles sont loin d’être les seules coupables. Nous n’avons pas une crise de cette nature sans qu’il y ait une mise en cause des systèmes de gestion des risques dans les banques, de la surveillance macroéconomique dans les organismes publics et de la régulation bancaire dans les organismes de supervision bancaire. Il faut que chacun accepte sa part de responsabilité afin de reprendre la main en matière réglementaire. Il faut une réglementation intelligente et homogène, notamment à l’intérieur de l’Europe.

Les Européens doivent en effet eux aussi balayer devant leur porte. Lorsque l’on constate que des directives de supervision bancaire ont permis des interprétations et des mises en œuvre aussi diverses à l’intérieur même de l’UE, il y a manifestement un problème européen. Il convient de ce point de vue de souligner que la Commission européenne, qui est un bouc émissaire souvent commode, n’est pas responsable de la supervision bancaire ni des normes bancaires – qui est davantage le rôle de Bâle II. Elle a un pouvoir réglementaire, mais celui-ci reste avant tout le produit de la concertation entre les Etats. La Commission a en revanche un rôle très important de suivi macroéconomique ainsi qu’un droit et un devoir d’initiative, qui doit lui permettre de mettre en exergue les difficultés. Ne cherchons pas à blâmer les uns et les autres, chacun doit prendre sa part de responsabilité.

J’ajouterais un point qui n’est peut être pas directement lié à la dérégulation bancaire mais qui y a beaucoup contribué, il s’agit de l’utilisation totalement excessive de la notion de marché. Un marché est quelque chose d’organisé, de liquide et de permanent, dans lequel des acteurs permettent d’arriver à une valeur de marché. On a en réalité commencé à appliquer la notion de marché ou de quasi marché en utilisant des modèles mathématiques, modèles qui n’ont pas pris en compte les cas extrêmes. Il s’agit là de dérèglements. De la même manière un dérèglement qui fait beaucoup parler de lui en ce moment réside dans la non maitrise des rémunérations. Les "incentives" ont été complètement calibrés sur le court terme et non sur les résultats de moyen terme.

Ce sont donc bien des dérèglements profonds qui sont à l’origine de la crise, et non la dérégulation.

L’euro a-t-il protégé des effets de la crise ? Et si oui, pourquoi ?

L’euro a bien entendu créé une zone de stabilité entre les pays qui en sont membres. Imaginez ce que serait aujourd’hui la situation relative des parités de change d’un certain nombre de pays de la zone euro sans la monnaie unique et les dérèglements macroéconomiques et sociaux que cela introduirait. L’euro a protégé les Européens et a encore une fois démontré son extraordinaire capacité à créer de la stabilité, ce pour quoi il a été pensé. La meilleure preuve reste qu’en pleine crise, les pays qui ne sont pas membres de la zone euro souhaitent y entrer.

L’euro n’est toutefois pas une panacée universelle. Il y a aujourd’hui dans le marché des "spreads" différents sur les émissions souveraines, en fonction du jugement porté par les investisseurs sur les politiques conduites par les différents Etats, ce qui est bien normal acr l’euro ne peut pas tout. L’euro ne peut pas non plus rendre bonnes des politiques macroéconomiques qui sont mauvaises.

Je voudrais également souligner le parcours remarquable de la BCE, qui est le produit de l’euro. La BCE est une institution jeune, mais elle a superbement réagi à la crise dès 2007 et nous aide à franchir cette période difficile. J’évoquerais notamment la réactivité de la BCE à fournir de la liquidité ainsi que son côté visionnaire sur la politique monétaire. Lorsque l’on réfléchit aujourd’hui à l’amélioration de la surveillance macroéconomique en Europe, on pense à le faire autour de la BCE, comme le propose de rapport de Jacques de Larosière. La BCE est devenue une ancre du système. Si les Européens peuvent être fiers d’une institution, c’est de la BCE.

Quels sont les mesures absolument nécessaires pour refonder le système financier mondial que les Européens pourraient proposer au G 20 ?

J’ai tendance à penser que la priorité est de restaurer la confiance dans le système financier mondial. Les récentes mesures annoncées par le secrétaire d’Etat américain au Trésor, Tim Geithner (sur le traitement des actifs toxiques), concourent bien à cela. Aux Etats-Unis, en Europe ou au Japon les mesures prises tendent vont dans le sens d’une restauration de la confiance. Le système financier n’est peut être pas encore totalement sous contrôle, mais on comprend à présent où il va. Les Etats ont de ce point de vue fait preuve d’un sens de la responsabilité considérable depuis plusieurs mois. Il y a encore des signes de défiance mais nous ne sommes pas loin de répondre à cette notion de confiance et d’atteindre l’objectif. Le deuxième sujet important est de rétablir la confiance dans le marché non intermédié. Une grande partie de l’économie n’est en effet pas financée par les banques mais de manière non intermédiée. Ce marché, qui concerne notamment le financement de moyen terme de l’économie, était très fermé - les investisseurs étaient très prudents et la titrisation n’existait plus - mais à tendance aujourd’hui à repartir avec davantage d’émissions. Il est très important que le G 20 conforte cette reprise.

Face à un ralentissement global de l’économie et dans le but de conforter ces deux mouvements là, deux autres points me semblent importants. Le premier concerne la coordination des politiques macroéconomiques. Les Etats font des choses remarquables - choses dont nous n’aurions jamais imaginé qu’ils soient capables il y a encore un an - mais il faut donner un sens de cohésion. Le G20 doit être l’occasion de monter que les gens se parlent et qu’il n’y a pas de division entre l’Europe, les Etats-Unis ou la Chine. Il faut par exemple que les Etats-Unis et la Chine soient capables de s’asseoir ensemble pour parler de la parité entre le dollar et le yuan. Lorsque l’on parle de plan de soutien budgétaire, il faut de même éviter d’envoyer des anathèmes au travers de l’Atlantique. Les Européens ont une certaine vision de l’impact des stabilisateurs automatiques, les Américains ont des stabilisateurs moins importants, mais il faut avant tout essayer de se comprendre. Ce sens du dialogue est très important.

Le deuxième point est plus technique mais néanmoins très important pour le rétablissement de la confiance à moyen terme. Il s’agit de reconnaitre et de traiter la question liée à la volatilité. Une des raisons de la perte de confiance réside dans l’extrême volatilité des mécanismes. Il y a derrière cela deux questions celle des normes comptables et celle des provisions bancaires.

Ces questions ne pourront pas être réglées en une journée de débat au G20, mais si l’on parvient à donner le sens de la cohésion macroéconomique et à lancer des travaux clairs pour traiter les questions de volatilité et améliorer la supervision bancaire, un progrès important aura déjà été accompli.

Il est enfin fondamental que le G 20 s’occupe des pays émergents. Le vrai risque vient selon moi des pays émergents, qui sont non seulement très importants pour l’économie mais aussi pour la stabilité mondiale. La crise ne vient pas de chez eux mais ils sont durement pris à revers, par des crises de change, des crises macroéconomies et assez rapidement sociales. C’est vrai en Europe de l’Est, en Russie ou encore en Chine. Le FMI doit avoir les moyens de traiter ces crises. L’Europe, le Japon et la Chine ont notamment indiqué leur intention de contribuer davantage aux efforts du FMI pour construite des lignes de défense autour des pays émergents fragilisés par la crise , ce qui est une excellente chose. Il ne s’agit pas nécessairement de consommer de l’argent mais de mettre en place les lignes de défense nécessaires afin de prévenir un choc. Il faut un comportement clair du FMI, démontrant qu’il joue un rôle préventif et pas seulement curatif. Je souhaiterais donc une déclaration fortes du G20 qui marque une prise de conscience de ces dangers et permette d’agir de façon préventive à l’égard des pays émergents.

Je dirais donc pour résumer : confiance, coordination et prévention.


 

Informations sur Jean Lemierre
Jean Lemierre est Conseiller auprès du Président de BNP Paribas, ancien Président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) (2000-2008). Il a été Directeur du Trésor de 1995 à 2000 et membre du Comité monétaire européen (1995 à 1998).
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