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Entretien du 28/04/09
Alain Barrau
Directeur du Bureau d'information pour la France du Parlement Européen

Lors des élections européennes du 7 juin, les citoyens auront à faire un choix un choix pour l’Europe de demain

Le Cercle des Européens : L’année où le Parlement européen fête le 30ème anniversaire de son élection au suffrage universel, un constat cruel s’impose : malgré la montée en puissance du Parlement européen, devenu un acteur majeur du processus décisionnel, l’abstention aux élections européennes n’a cessé de croître. Comment remédier à cela ?

Alain Barrau : Il y a en effet une forte contradiction dans cette situation. En 1979, lors de la première élection du Parlement européen au suffrage universel, la participation en France était de près de 61%. Lors de la dernière élection en 2004, celle-ci était de 43%. Et il ne s’agit malheureusement pas uniquement d’une tendance française mais européenne, que l’on observe aussi bien dans les "anciens" pays que dans les pays ayant rejoint l’Union en 2004 et 2007, pays dans lesquels les chiffres sont peut être même plus inquiétants. Dans le même temps, le Parlement européen est à l’évidence l’institution européenne qui a le plus conquis ou acquis de pouvoirs, que ce soit en matière budgétaire ou législative, avec l’extension de la procédure de codécision.

Pour aggraver le constat, on peut noter que lors des dernières consultations organisées en France sur les questions européennes, je pense notamment au référendum de Maastricht et au référendum sur le Traité constitutionnel de 2005, la participation a été forte (70%). Même si d’autres sujets se sont greffés au vote, on ne peut donc pas s’abriter derrière l’explication du manque d’intérêt des Français pour l’Europe.

Les raisons de ce paradoxe sont certainement multiples. Je pense que d’une manière générale le rôle spécifique du Parlement européen, parmi les autres institutions n’est pas assez connu de nos compatriotes. Il est avant tout le lieu du débat démocratique et j’ajouterais, un lieu de transparence. Le Parlement européen rassemble des élus représentant les peuples des 27 Etats membres, qui siègent non pas par nationalité mais par groupe politique, et détient des pouvoirs législatifs et budgétaires de plus en plus importants.

D’autre part, la tendance observée dans beaucoup de pays qui consiste pour les gouvernements, depuis longtemps, à s’accaparer comme des victoires, certaines décisions européennes, dès lors qu’elles ont des retombées positives sur le pays, et à l’inverse, à rejeter la faute sur Bruxelles dès lors que ces décisions ne leurs sont pas favorables, brouille considérablement le processus de prise de décision et l’analyse réelle des pouvoirs des institutions européennes, dont celui du Parlement dans son rôle de codécideur avec le Conseil. Nous payons donc à travers l’abstention, une attitude de très longue date.

La distance qui s’est instaurée entre le citoyen et l’Union européenne – que nous mesurons d’ailleurs grâce à des outils comme l’Eurobaromètre – devrait enfin nous faire réfléchir à la fonction même de cette idée géniale qu’est l’Europe. Durant une très longue période, l’idée de paix a beaucoup parlé aux générations qui ont bâti l’Europe. Par la suite l’Europe s’est surtout construite sur des perspectives concernant le marché unique avec un certain nombre de politiques communes qui n’ont cependant pas couvert tous les champs de l’activité économique et sociale. De ce fait, beaucoup de gouvernements ont plutôt considéré que le volet social était de la compétence nationale, ce qui n’a pas facilité le développement de ce qu’on appelle « l’Europe sociale ». Le grand dernier projet qui a mobilisé les foules, a été la mise en place de l’euro. Aujourd’hui, même si l’euro est critiqué, les gens mesurent certainement que sans l’euro la situation économique serait bien pire.

Quel est le rôle et quelles vont être les actions du Bureau du Parlement européen en France dans le cadre de la campagne pour les élections européenne de juin 2009 ?

C’est avant tout aux partis politiques de jouer leur rôle et d’intéresser les citoyens aux enjeux de la campagne. Mais le Bureau du Parlement européen effectue un travail de communication institutionnelle, articulé d’ailleurs avec celui des groupes politiques. Le message que nous tentons de faire passer aux citoyens est le suivant : « le 7 juin, faites votre choix. » Le thème du choix a en effet été adopté par le Parlement européen et soutenu par la Commission et l’ensemble des gouvernements, dont le gouvernement français. Il s’agit donc du mot d’ordre fédérateur d’une campagne institutionnelle qui pour la première fois va être menée dans les 27 pays membres. J’espère qu’elle montrera que la dimension européenne existe y compris en terme de communication.

Le Bureau du Parlement européen organise des Forums citoyens dans chacune des régions, afin de permettre aux députés européens de rencontrer les citoyens. Nous avions initialement obtenu des crédits pour couvrir uniquement les 8 circonscriptions électorales européennes, ce qui était insuffisant compte tenu de leur taille, mais en rassemblant nos efforts nous sommes parvenus à organiser un débat par région administrative.

Nous diffuserons également des spots radio et télé, avec pour ce qui concerne la télé, le problème du coût, et nous comptons sur ce point sur l’appui du gouvernement. J’ai moi même fait le tour des chaînes de télévision et il n’y a pas une chaîne pour qui cette échéance ne représente pas un intérêt, pour des raisons certes variées, mais chacune a son propre programme et ses propres objectifs. Nous serons là pour apporter notre contribution et créer des synergies. Nous conduirons plus généralement un travail important avec les journalistes car ce sont des relais très importants, à plus forte raison en période électorale.

J’ai eu la chance d’être nommé à la responsabilité de ce Bureau juste au moment de la Présidence française, période très intéressante bien que difficile, et j’espère que nous pourrons poursuivre le travail de fond effectué à cette occasion. Je pense que la Présidence française pourrait avoir un impact positif sur la mobilisation des citoyens car elle a reçu un accueil plutôt favorable au sein de l’opinion publique, en donnant l’image d’une Europe active. Il faut toutefois ajouter que depuis la fin de la Présidence, l’opinion publique a été captée par les problèmes économiques et sociaux internationaux et nationaux, par les questions liées au pouvoir d’achat, par la situation aux Antilles, ainsi que sur le plan international, par le conflit israélo-palestinien, ce qui fait que nous sommes actuellement dans une phase de reflux. Reste à voir si cela va durer.

Craignez-vous une forte abstention pour ces élections européennes de juin 2009 ?

Compte tenu de la date des élections européennes dans le calendrier politique français, à mi- chemin par rapport aux élections législatives et présidentielles, il y aura forcément une politisation, qui fera également de ces élections un enjeu national. Il faut que ceux qui veulent faire de cette campagne un enjeu européen se fassent entendre.

Du point de vue de la participation, il est fort probable que les gens qui veulent une Europe différente de l’Europe actuelle, se déplacent pour aller voter. En revanche, les "partis de gouvernement", pour simplifier, risquent d’avoir parmi leur électorat une sorte de désaffection. Un faible taux de participation pourrait donc donner, à l’issue du vote, une image de la réalité politique un peu déformée. Il faut toutefois noter que le spectre politique français n’a sans doute jamais été aussi bien représenté que lors de cette élection. Je trouve d’ailleurs très positif que toutes les familles politiques participent à ce scrutin, car il serait encore plus grave que certains partis aient appelé au boycott.

Pensez-vous que la réforme de la loi électorale française, entrée en vigueur pour les élections européennes de 2004 et ayant conduit à la substitution de la circonscription nationale unique par 8 circonscriptions régionales, ait atteint les objectifs recherchés, à savoir rapprocher les élus des citoyens et renforcer la légitimité du Parlement européen ?

Cette question est très compliquée. L’idée de l’enracinement et de la proximité est bonne mais la réalisation liée à la loi électorale de 2003 n’est pas très satisfaisante et pas très efficace.

Certains des députés européens ont un enracinement local réel. Ils se rendent compte d’ailleurs très vite qu’ils ne peuvent pas en terme de temps, cumuler des fonctions exécutives ou de fortes responsabilités au niveau régional à celle de député européen, qui est un travail à plein temps et demande de plus en plus de disponibilité. Si l’on ne veut pas être noyé au Parlement européen, il faut se spécialiser afin de peser au sein de sa délégation nationale, de son groupe politique, puis en commission et en plénière.

Ces circonscriptions régionales sont très grandes et n’existent que pour les élections européennes, ce qui fait qu’elles ne sont pas du tout habituelles pour les électeurs. Il me semble que la raison essentielle qui a poussé à la création de si grandes régions est celle du mode de scrutin à la proportionnelle. En effet, si l’on appliquait la proportionnelle sur la base des 22 régions qui existent actuellement dans notre pays, le vote serait complètement éclaté et peu représentatif.

On réalise très bien sur le terrain les obstacles liés à la taille des circonscriptions. J’ai par exemple organisé récemment un Forum citoyen à Dijon, auquel ont répondu présents 7 députés sur les 10 que compte la grande région Est, ce qui est très positif, mais dans la salle il y avait essentiellement des citoyens venant de Dijon, ou disons de la Bourgogne, mais personne de la Lorraine ou de la Franche Comté, ce qui est logique compte tenu des distances.

Faut-il en revenir aux listes nationales ? Certains "politistes" le suggèrent, en mettant en avant que cela pourrait entraîner une dramatisation des élections et par là-même une augmentation du taux de participation.

Bien que le système actuel ne soit pas satisfaisant, je dirais qu’il n’y a pas de solution miracle. De plus, ces grandes régions pourraient au fur et à mesure s’enraciner et peut être même acquérir d’autres compétences. Nous sommes d’ailleurs actuellement en plein débat sur la réforme des collectivités territoriales, suite à la remise du rapport d’Edouard Balladur.

La préparation de ces élections en France et la nomination des têtes de listes au sein des différents partis – qui suscitent de vifs débats et polémiques - vous semblent-elles de nature à mobiliser les citoyens ?

Le Parlement européen n’a évidemment pas son mot à dire sur la constitution des listes qui est de la responsabilité des partis politiques. Ce que je peux constater en tant qu’observateur attentif, c’est que la phase de constitution des listes n’a pas jusqu’à présent entraîné au sein de la population française un engouement pour les élections européennes en elles-mêmes. J’espère que les électeurs pourront avant tout se prononcer sur des programmes, dont la dimension européenne sera d’ailleurs renforcée pour cette élection. Pour donner un intérêt à cette campagne, il faut à mon sens "politiser" cette élection, Non pas dans un esprit partisan mais au bon sens du terme. On retombe là sur l’idée d’un choix qu’auront à faire les citoyens pour l’Europe de demain, le 7 juin prochain.

Il y a d’autres facteurs qui peuvent donner lieu à des améliorations. A l’heure actuelle les modalités d’organisation des élections européennes, l’ensemble de la réglementation de la campagne ainsi que le choix de la date relèvent de la compétence nationale. Il est quand même absurde que la date des élections ne soit pas la même dans tous les pays européens.

La crise financière et économique mondiale ne fournit-elle pas justement l’occasion de politiser ces élections européennes et plus largement de mettre en valeur les avantages qu’apporte l’Union européenne à ses citoyens ?

Le thème de la crise sera en effet au centre de la campagne, à côté de celui de la lutte contre le changement climatique et peut-être à un moindre degré, de celui du rôle de l’Europe dans le monde. Mais je pense que la crise sera doublement utilisée, d’un côté pour dire que l’Europe ne nous a pas protégés, d’un autre pour dire que l’Europe est le seul moyen que nous ayons de sortir de cette crise de façon positive et collective - bien que nous n’en soyons pas encore à ce stade là, comme a pu le démontrer le dernier Conseil européen.

Parallèlement au renforcement des pouvoirs du Parlement européen, le Traité de Lisbonne renforce les pouvoirs des Parlements nationaux. En tant qu’ancien Président de la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale, mais aussi ancien membre de la Convention sur l’avenir de l’Europe (représentant de l’Assemblée nationale), cette mesure vous semble-t-elle aller dans le bon sens ? N’y a-t-il pas des risques de rivalités ou de conflits ?

J’ai toujours été très favorable à cette mesure, à la fois quand j’étais élu à l’Assemblée nationale et au sein de la Convention, mais aussi lorsque j’étais responsable au Parlement européen des relations avec les Parlements nationaux. Je pense que si l’on veut intéresser les opinions publiques nationales à l’Europe, il faut que les représentants de ces opinions publiques, qui sont les députés et les sénateurs, considèrent l’Europe comme un enjeu quotidien, ce qui n’est pas entièrement le cas actuellement, bien que vous ayez dans chaque parti politique des députés qui connaissent bien l’Europe et s’y intéressent.

A la veille de la précédente présidence française de l’Union, en 2000, j’étais alors Président de la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale, je me souviens par exemple que nous avions en stock 52 directives qui n’avaient pas été transposées, dont une qui avait été approuvée par la France en 1979 ! Cet exemple est à mon sens tout à fait significatif de l’intérêt d’avoir cet échange entre députés européens et députés nationaux, le plus en amont possible, plutôt que de leur faire au moment d’un vote de transposition, c’est-à-dire tout à fait à la fin du processus. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les gouvernements hésitent à engager des projets de lois pour transposer les directives.

Cet échange est également nécessaire pour que d’un côté, les députés européens comprennent les enjeux nationaux des questions européennes et de l’autre pour que les parlementaires nationaux comprennent que les députés européens ne sont pas là pour susciter des réglementations européennes qui iraient à l’encontre de leurs propositions de lois.

Le renfoncement des pouvoirs du Parlement européen et des Parlements nationaux constitue donc un aspect très utile des nouvelles perspectives institutionnelles car j’estime que la démocratie doit pouvoir marcher sur deux jambes.

Vous étiez responsable au sein du Parlement européen, des relations avec les Parlements nationaux. Comment ces relations ont-elles évolué ?

Depuis une quinzaine d’années, ces relations ont considérablement évolué et c’est ce à quoi j’ai pu contribuer au sein de la direction du Parlement européen chargée des relations avec les Parlements nationaux.

Je dois dire qu’il y avait au début une certaine indifférence entre député européens et nationaux, liée à un manque de connaissance du travail respectif de chacun. Les élus européens considéraient que les élus nationaux ne connaissaient rien du tout aux questions européennes et les élus nationaux considéraient que les élus européens étaient " hors sol". Il y avait parfois certaines tensions, liées notamment à l’application du principe de subsidiarité ou au renforcement des pouvoirs des Parlements nationaux, perçu par certains comme une sorte de frein au mécanisme de communautarisation.

Pour améliorer ces relations, nous réunissions régulièrement à Bruxelles, avec les députés européens, les représentants de chacun des Parlements nationaux et organisions également des rencontres entre commissions parlementaires, sujet sur lequel j’ai beaucoup travaillé. Tout ceci a bien marché et s’est beaucoup développé. Tout ce qui participe au renforcement de la coopération entre élus nationaux et élus européens va dans le bon sens.

Que pensez-vous de l’accord passé entre les deux grands groupes politique au Parlement européen (PPE-DE et PSE) en 2004 pour se partager la présidence durant la législature ?

Cette décision est toujours présentée comme un « accord technique » qui relève de l’organisation interne du Parlement européen. Bien qu’on ne puisse pas nier sa portée politique, il faut à mon sens avant tout prendre en compte le fait que pour la plupart des députés européens, le plus important est de peser vis-à-vis du Conseil et de la Commission européenne. Cette « culture du consensus » passe avant toute autre considération et a porté ses fruits à de nombreuses reprises, je pense notamment à la directive Services ou encore à la législation REACH, sur les produits chimiques. Cette culture politique est parfois critiquée ou mal comprise, du fait que nous sommes habitués, en particulier dans notre pays, à avoir une majorité et une opposition, ce qui est pour nous le fonctionnement démocratique habituel.

Aujourd’hui les principaux groupes politiques cherchent à anticiper l’une des mesures phare du traité de Lisbonne en désignant leur candidat au poste de Président de la Commission européenne. Qu’en pensez-vous ?

Nous avions eu cette idée lors des débats à la Convention européenne et j’y suis personnellement très favorable. Je pense que ce serait un grand progrès, si à l’occasion de cette élection, chacune des grandes familles politiques européennes identifiait un leader qui pourrait l’incarner. Pour être de qualité, le débat doit être politique et incarné.

Votre engagement européen ?

J’ai eu la chance d’être séduit par cette idée européenne très jeune. Pour des raisons à la fois intellectuelles, rationnelles et affectives. J’ai toujours pensé qu’il fallait sauvegarder le génie de nos peuples, les langues et les cultures qui composent l’Europe et que cela ne serait possible que si nous étions forts ensemble. Nos histoires ont été tellement complexes, enchevêtrées et tortueuses que l’idée d’appartenir à une génération et un territoire où la paix et la reconnaissance de l’autre faisaient partie des éléments constitutifs de nos vies, a représenté un élément important de mon engagement. J’ai toujours pensé par ailleurs que nous n’arriverions à bâtir l’Europe qu’en ayant chacun nos propres projets

L’Europe est une dimension irremplaçable, permettant d’agir dans son propre pays et sur le plan international. L’Europe est une dimension qu’il faut prendre dans sa vie quotidienne, ce qui est certainement le cas aujourd’hui chez les jeunes générations. J’espère tout au long de ma vie avoir contribué à cela.


 

Informations sur Alain Barrau
Alain Barrau, Directeur du Bureau d’information pour la France du Parlement européen, depuis janvier 2008. Ancien Député de l’Hérault (1986-2002), Alain Barrau a été Président de la Délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale de 1997 à 2002. Il a également été membre de la Convention sur l’avenir de l’Europe, en tant que représentant de l’Assemblée nationale française. Entre 2002 de 2008, Alain Barrau était responsable au sein du Parlement européen des relations entre le Parlement européen et les Parlements nationaux (tout d’abord en tant qu’Administrateur principal (2002-2004), puis Chef d’unité (2004-2006) et Directeur (2006-2008).
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