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Entretien du 4/06/09
Gérard Bossuat
Professeur à l'Université de Cergy-Pontoise

Les partis politiques français n’ont pas compris les conséquences de l’existence de l’Union européenne

Depuis l’émergence de la notion de citoyenneté européenne dans les années 70, puis sa consécration en 1992 dans le traité de Maastricht, le soutien des citoyens aux institutions communautaires est l’une des conditions essentielles de la construction d’une Europe politique et non seulement économique. Doit-on établir un constat d’échec à cet égard ?

La participation des citoyens au scrutin du 7 juin prochain sera un bon baromètre de leur intérêt pour l’Union européenne. On s’attend à de mauvais scores.

Le traité de Maastricht définit ainsi la citoyenneté de l’Union : "Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre". Il n’est donc pas question de "nationalité de l’Union", puisque celle-ci n’a pas de personnalité juridique internationale. La citoyenneté européenne est donc une "citoyenneté de superposition". Le traité s’est limité à reconnaître quatre droits spécifiques : le droit de circuler et de séjourner librement, le droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et municipales du citoyen de l’Union résidant dans un autre État membre, le droit à la protection du citoyen européen sur le territoire d’un pays tiers où l’État membre dont il est ressortissant n’est pas représenté par les autorités diplomatiques ou consulaires de tout autre État membre, le droit à la protection juridique par le recours à la pétition devant le Parlement européen et le recours à son médiateur.

Plus simplement l’exercice de la citoyenneté est le pouvoir de participer à la vie démocratique d’un Etat ou d’une entité comme l’Union européenne. Si théoriquement c’est possible avec l’élection des représentants des Etats membres au Parlement, un petit nombre de citoyens se passionne pour son travail. Pourquoi ? Parce que les citoyens ne comprennent pas la complexité du système institutionnel communautaire et qu’il manque un gouvernement européen, ayant des pouvoirs exécutifs limités mais réels, responsable devant le Parlement.

Construire une Europe politique a été tenté dans la courte histoire de la Communauté européenne avec des projets d’autorité politique européenne dès 1954 et d’Union des Etats en 1962, voire même avec le Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernement que Monnet appelait gouvernement provisoire européen. Une certaine Europe politique existe, incarnée par les Conseils européens, mais tout se fait dans le secret des diplomaties et ne ressortent des Conseils que ce qu’on veut bien dire aux citoyens. Une Coopération politique européenne existe aussi entre les Etats et leurs administrations sans que les Parlements nationaux puissent en examiner les résultats ou les principes.

Mais allons plus loin encore. La vie démocratique d’un ensemble comme l’Union européenne supposerait que les politiques qui la concernent soient discutées au niveau de l’Union dans un espace public européen avant de passer devant le Parlement européen. Les espaces nationaux ne se fondent pas naturellement. Il n’y a ni presse, ni médias multilingues, ni partis politiques capables de porter continûment l’intérêt public européen ou de faire des propositions sur les grands dossiers européens du moment d’un point de vue européen.

Est-ce faire un constat d’échec ? Oui certainement puisque la vie démocratique au sein de l’Union est de faible intensité du fait de la prédominance de l’expression politique au sein des Etats. Mais malgré certaines impatiences, il faut se souvenir que la construction d’une entité européenne est récente, que l’élection au suffrage universel du Parlement européen date seulement de 1979, et donc que les fonctions même du Parlement européen sont mal perçues par les citoyens. Le Parlement européen dispose maintenant d’un pouvoir de co-décision avec le Conseil des ministres sur les projets de lois européennes concernant 80% des domaines de la législation européenne. Toutefois le Conseil a le dernier mot dans des domaines essentiels : Union monétaire, fiscalité, dépenses agricoles, affaires intérieures et de justice, politique étrangère et de sécurité commune. Le Parlement a le droit de demander à la Commission de formuler des propositions. Il approuve ou rejette les nouvelles adhésions et les traités d’association. Il accepte ou non la candidature du président de la Commission et valide ou non la composition de la Commission. Pour le budget, le Parlement dispose de la codécision pour la fixation des plafonds de dépenses, mais pas pour la fixation des ressources propres où il n’est que consulté. Mais il est vrai que la procédure législative est très complexe : procédure de l’avis consultatif, de l’avis conforme, de la coopération, de la co-décision selon les domaines couverts par le traité. Cette situation, issue de l’évolution historique, n’est pas de nature à rendre l’activité du Parlement "lisible" pour l’opinion publique.

Le Parlement a fait des propositions pour développer l’intégration communautaire. Ainsi pour la politique régionale, la politique de l’environnement, la recherche technologique, qui n’étaient pas inscrites dans les traités. Le Parlement a fait pression pendant vingt ans pour qu’une politique commune des transports, prévue par le traité de Rome, soit mise en place et a fait constater par la Cour de Justice en 1985 la carence du Conseil à cet égard. Depuis, de nombreuses directives ont été adoptées pour la réalisation du marché intérieur dans le domaine des transports. Le Parlement s’est également préoccupé de l’aide au développement. Sur le plan international, le Parlement fait entendre la "voix de l’Europe" dans le monde.

Le traité constitutionnel du 29 octobre 2004, dont les dispositions sont reprises par le traité de Lisbonne, confirme la place du Parlement européen comme première des institutions avec le Conseil européen, mais devant le Conseil des ministres, la Commission ou la Cour de Justice. Il consacre le rôle du Parlement qui "exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire"..

La construction politique européenne n’est pas aboutie alors que se développe un désir du public de clarifier le mécanisme institutionnel.

Quelles sont les causes de l’augmentation de l’abstention d’une élection européenne à l’autre, et ce, depuis 1979, alors même que le Parlement européen a vu ses pouvoirs considérablement accrus durant ces 30 dernières années ?

Pour les raisons avancées plus haut, d’ordre institutionnelles mais aussi parce que l’ensemble des citoyens européens ne se sent pas entraîné dans un grand élan affectif en faveur de l’Union, ressentie comme un monstre froid issu des nécessités économiques mais pas du cœur, le Parlement européen n’apparaît guère sur le devant de la scène politique avant les réformes prévues par le traité de Lisbonne. Il semble donc peu important dans la vie politique européenne où semblent compter davantage la Commission européenne et le Conseil des ministres ou le Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernement. Sans doute aussi l’organisation politique, complexe, désarçonne-t-elle l’électeur français. Les groupes politiques européens portent des noms différents de ceux des partis français. Le compromis est la règle : ainsi un accord a été passé entre le PPE (Parti populaire européen) et le PSE (Parti des Socialistes européens) pour présider à tour de rôle le Parlement européen entre 2004 et 2009. La crise de la représentation politique dans les démocraties occidentales a aussi son importance. Le Parlement européen n’échappe pas à cette tendance lourdes des comportements public. Le Parlement européen n’est sans doute pas l’institution qui représente le mieux la légitimité historique et politique de la Communauté européenne et de l’Union : la Commission européenne depuis Hallstein en passant par Delors a su prendre des initiatives législatives, selon les dispositions du traité. Elle est donc observée de très près par tous les acteurs de la construction européenne. Le Conseil européen des 27 a pris aussi une importance considérable. Les citoyens savent bien que c’est lui qui donne la direction à suivre par l’Union européenne.

L’abstention augmente en raison du manque d’information du public sur le travail du Parlement et par l’incapacité des responsables politiques nationaux à orienter le débat politique sur les questions européennes d’intérêt commun.

Comment expliquer l’incapacité des partis politiques à mener campagne pour les élections européennes – les élections de juin prochain ne faisant pas exception - sur des thèmes véritablement européens ? Et quels sont les thèmes européens que vous regrettez de ne pas voir aborder aujourd’hui ?

Sans doute est-il exagéré de dire qu’ils ne mènent pas campagne pour les élections européennes. Ils ont commencé très tardivement parce qu’ils ne veulent pas investir un secteur non décisif pour leur propre combat national. Les partis politiques français n’ont pas compris les conséquences de l’existence de l’Union européenne et qu’elle pouvait fonctionner comme un espace politique et public unifié. Certes cet espace public est délicat à développer, mais les partis ne font rien pour le créer. D’autre part il n’est pas sûr que les grands partis soient tous unis sur les propositions à faire pour le nouveau mandat de 5 ans du Parlement européen : la relance économique, la gouvernance européenne, la PESC et l’Alliance atlantique peuvent séparer au sein d’une même famille politique. De plus la culture politique des partis nationaux appartenant à une même famille politique est différente d’un pays à l’autre.

Parmi les thématiques à développer au niveau européen , à savoir celles qui demandent une intervention évidente de l’Union quand ni les Etats ni les organisations citoyennes ne peuvent seuls les assumer, je place, sans ordre de préférence, l’éducation des jeunes Européens car l’élévation continue et raisonnée du niveau d’éducation conditionne la survie des Européens, les investissements dans la recherche, y compris les Sciences humaines, et dans les technologies nouvelles ; l’organisation sociale européenne de façon à rendre effective la solidarité entre générations, entre pays riches et plus pauvres de l’Union. Il est clair que ce projet demande un aménagement du système libéral. Enfin une politique sur l’engagement de l’Union pour la sécurité internationale, ce qui signifie insister sur une politique européenne de la défense et sur une politique étrangère et de sécurité commune.

Êtes-vous d’accord avec ceux pour qui le non français au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen a définitivement altéré les rapports entre les Français et l’Europe ?

Comment être d’accord avec cette idée ? La Communauté européenne, devenue l’Union européenne a 52 ans, elle a établi la paix et la prospérité entre les Européens de l’Ouest puis entre l’ensemble des Européens. Peut-on renier cet acquis, cette incroyable sécurité mutuelle que les Européens ont su se donner ? Il serait suicidaire de le croire. En revanche le non français et néerlandais est un signal d’alarme et le signe d’un changement. Le non alerte les citoyens comme les responsables politiques et économiques que le projet de constitution négligeait de s’enraciner dans le dialogue citoyen en dépit des efforts faits par la convention présidée par Valéry Giscard d’ Estaing. Les Français et d’autres peuples ont réclamé plus de clarté dans les institutions et demandé un projet institutionnel plus net ; il faut donc choisir entre une Europe des Etats, partageant leur souveraineté dans les limites qu’ils se donneront et une Europe plus fédéraliste, osons le terme, où un gouvernement de l’Union agira souverainement dans des domaines limités et faisant consensus. Mais cette évolution dépend des citoyens européens qu’il faut interroger sur ce point.

Le signe du changement que ce rejet manifeste a trait à la politisation du débat européen. Jusqu’alors, il était de bon ton de laisser agir la Commission et le Conseil sans se préoccuper des choix politiques. Bruxelles, bouc émissaire à l’occasion et lointain pourvoyeur de crédits, pouvait être critiqué par n’importe quel bord politique. Depuis le rejet du projet de constitution il est apparu que la politique européenne était de droite ou de gauche, progressiste ou conservatrice. L’absence de politique sociale efficace pour contrebalancer les effets de la crise et du chômage a fait comprendre qu’une Commission et qu’un Conseil des ministres faisaient de la politique et donc qu’un choix s’offrait aux électeurs du Parlement européen.

En rejetant le traité constitutionnel, une majorité de Français a sans aucun doute voulu dire qu’il fallait réintroduire le débat public sur les politiques des institutions européennes. Mais cela ne signifie pas qu’il faille tuer les institutions européennes.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht de 1992 jusqu’à nos jours, toutes les tentatives pour renforcer réellement l’Europe politique ont échoué, le dernier échec étant celui du référendum irlandais sur le traité de Lisbonne en juin 2008. Comment interprétez-vous cette situation de blocage ?

Outre les raisons données plus haut, il faut ajouter l’incapacité des gouvernements et des institutions de l’Union à donner un sens à l’avenir de l’Union. Comment bâtir une Union politique sans avoir de perspectives claires : quel type de gouvernance l’Union veut-elle, quelles politiques extérieures, de développement, de réponses aux crises , quelle politique sociale faut-il ? Ce blocage traduit une crise de l’Union qui peut l’amener à plus de maturité, mais le risque d’un enlisement et d’un affrontements au sein des opinions publiques existe aussi tellement les attentes sont grandes. Le cas irlandais semble s’expliquer par une mauvaise information des citoyens qui ont cru que le traité de Lisbonne allait faire disparaître des dispositions réglementaires ou législatives auxquelles ils tenaient posant ainsi implicitement la question de la délimitation des domaines respectifs de l’Union et des Etats membres.
Le blocage actuel est lié à la peur de l’inconnu européen. L’exercice de la souveraineté de l’Union ne rassure pas parce que l’application de la subsidiarité pose problème.

L’équilibre institutionnel entre une Commission garante de l’intérêt communautaire, un Conseil exprimant la convergence des intérêts nationaux et un Parlement représentatif des peuples de l’Europe, est-il adapté au contexte d’une Europe élargie à l’ensemble du continent ? Faut-il comme certains le suggèrent jeter la méthode Monnet aux orties ?

Il y a longtemps que la méthode Monnet de création de communautés européennes parcellisées devant aboutir un jour à une Union supranationale a échoué. Depuis les traités de Rome, les Etats ont repris la main sur la Commission. La méthode Monnet, avouons le, laissait de côté le débat citoyen avec les conséquences que l’on sait. La gouvernance à 27 semble très difficile et on ne fera pas l’économie d’une évolution des institutions. La Commission devrait jouer le rôle qui lui a été dévolu en 1957 à savoir défendre l’intérêt général européen, encore faudrait-il ne pas oublier que cet intérêt général européen est difficile à définir. Il faut donc que la Commission annonce sa politique et que celle-ci soit approuvée par le Parlement ou alors que la Commission soit sanctionnée et démissionne, comme un gouvernent national en démocratie.

Quels sont vos pronostics pour les élections européennes de juin prochain en termes de participation au vote et de répartition des sièges entre les différents partis européens ?

Mon impression d’observateur est que les conservateurs peuvent l’emporter au Parlement européen. José Manuel Barrosso, le président de la Commission depuis 2004, risque d’être reconduit en dépit des demandes et souhaits réitérés du PSE ou des Verts de conduire une politique plus progressiste, moins libérale et surtout de prendre des initiatives pour muscler la réponse des Etats et de l’Union à la crise sociale et économique de 2009.

Existe-t-il d’ailleurs de véritables partis européens ?

Il n’existe pas de partis politiques européens parce que les grands dossiers politiques traités par eux sont défendus d’abord dans un cadre national et pour un électorat national. Les Verts marquent cependant plus que d’autres des préoccupations européennes tandis que les conservateurs extrêmes, tels Libertas, sont unis pour revenir au concert des Nations du XIXe siècle. Certes les grands partis de gouvernement : socialistes et conservateurs libéraux se regroupent dans des structures intereuropéennes. Mais on a du mal à comprendre ce qu’ils veulent faire en un temps où la défense économique nationale devient prédominante dans la campagne pour les élections européennes ou que prévalent pour les uns la défense du gouvernement Sarkozy ou pour les autres sa critique virulente. 


 

Informations sur Gérard Bossuat
Gérard Bossuat est Professeur des universités, Chaire Jean Monnet ad personam, Université de Cergy-Pontoise, Directeur du master LLSHS, mention Études européennes et affaires internationales, spécialité professionnelle "projet européen", et recherche "Histoire et enjeux européens". Il est co-auteur du Dictionnaire historique de l’Europe Unie, André Versaille éditeur, Bruxelles, 2009, et auteur de : Histoire de l’Union européenne, fondations, développement, avenir, Paris, Belin sup 2009.
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