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Entretien du 11/04/12
Marc Tarabella
Député européen (PSE-France)

Les eurodéputés sont le caillou dans la chaussure des pro-ACTA

 Cercle des Européens: Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste le traité "ACTA" (Accord commercial anti-contrefaçon) et pourquoi il a été imaginé ?

Marc Tarabella: Le 1er octobre 2011, les USA, l'Australie, le Japon, la Corée, la Nouvelle-Zélande, le Canada et le Maroc ont signé l'Anti-conterfeinting trade agreement (ACTA). ACTA est un accord commercial qui aurait pour but de protéger la propriété intellectuelle au niveau international et de lutter contre la contrefaçon de produits.

Sur le principe on ne pourrait qu'adhérer. Personne n'a envie de se faire voler ses créations. Personne n'a non plus envie de rouler en voiture avec des freins contrefaits ou d'absorber de faux médicaments. La contrefaçon est un fléau contre lequel il faut lutter. ACTA toucherait le quotidien de chacun et les ramifications de son pouvoir serait énorme. Le prisme de toutes les angoisses autour d'ACTA est concentré sur Internet mais il est bien plus vaste. ACTA régule certaines libertés individuelles, touche les droit des brevets (avec des conséquences sur les semences en agriculture, les médicaments génériques) etc. Le spectre est donc très large, tentaculaire même.

Cercle des Européens: Le traité ACTA a-t-il évolué au cours des négociations ?

Marc Tarabella: Hélas, si seulement il y a avait eu négociations... si seulement il y avait eu information puis concertation avec les parlement nationaux, si seulement les différents acteurs comme les ONG, le monde politique, les citoyens avaient été avisés. Il n'en fut rien. ACTA est né en fait il y a près de cinq an et, le secret aura été maintenu pendant près de 3 ans... il ne faut donc pas s'étonner que les citoyens et les politiques (dont les socialistes et les verts) voient d'un mauvais oeil un accord négocié dans le secret, probablement avec les principaux acteurs du monde industriel. Les parlements ont été mis de côté ainsi que tout le processus démocratique. Pour un traité de cette ampleur, ce n'est pas tolérable. Aujourd'hui encore, la Commission européenne multiplie les écrans de fumée.

Soyons clairs, nous, parlementaires européens, sommes le caillou dans la chaussure des pro-ACTA. En effet, s'ils pouvaient se passer de notre vote, ils nous auraient dribblé également et les citoyens que nous représentons n'auraient pas su grand chose de ce traité qui prévoit de changer leur vie.

Cercle des Européens: Quels sont les points qui suscitent encore des crispations ?

Marc Tarabella: D'abord, c'est précisément le manque de transparence régnant autour de ce dossier. Ce n'est pas acceptable. Quand le commissaire en charge d'ACTA nous somme de valider son traité alors que la plupart de nos revendications n'ont pas été suivies, il tente de nier le rôle démocratique du Parlement européen.

Ensuite, c'est l'imprécision des textes. Souvent on dit que le diable est dans les détails, il est ici dans le manque. Si je fais un traité sur la "malbouffe" et qu'il faut absolument combattre le cholesterol, vous me direz que c'est bien. Mais si je n'explique pas comment le combattre, certains Etats membres appliqueront mon traité en interdisant la vente de tous les produits sucrés sans ordonnance, tandis que d'autres plus soft méneront juste des campagnes de sensiblisation, sans repression. ACTA, c'est le traité du flou. La marge d'interprétation des textes est tellement large qu'elle peut faire craindre le pire. J'imagine que c'est une réelle volonté de la part des auteurs d'ACTA. En effet, ils veulent laisser les coudées franches à certains pour dicter des principes repressifs à l'encontre du citoyen.

Enfin, un point sur lequel je prends plaisir à ironiser. Il s'agit d'un traité international sur la contrefaçon impactant de nombreux pays à travers le monde. Pourtant, les principaux pays contrefacteurs comme l'Inde, la Chine ou Taiwan n'en sont pas.... C'est comme signer un traité maritime entre pays qui n'ont pas accès à la mer !

Cercle des Européens: La Commission européenne soutient ce traité, tout comme plusieurs Etats membres. Le Parlement européen est beaucoup plus divisé, pourquoi ?

Marc Tarabella: La Commission européenne soutient ce traité et l'a même signé. Mais c'est seulement une fois signé qu'elle s'est inquiété de savoir si le contenu ne violait pas le droit européen. Il n'y a pas qu'au royaume du Danemark que quelque chose est pourri. J'espère d'ailleurs qu'en déclinant cette citation de Shakespeare, je ne tombe pas dans le viol du droit d'auteur selon ACTA...

Des Etats membres ont signé mais la tendance est à la marche arrière. Certains comme l'Allemagne l'ont refusé catégoriquement, d'autres se sont rétractés, d'autres encore ont conditionné leur signature aux résultats des débats.

Enfin, au Parlement il y a sur cette question un clivage entre les pro-ACTA : la droite européenne (PPE dont fait partie l'UMP) et les conservateurs (ECR) contre les autres, socialistes et verts en tête. Cependant sont venus se greffer deux autres clivages au sein des pro-ACTA, le premier est un conflit de génération où les députés plus jeunes sont de moins en moins partisans de ce traité. Le second concerne ceux qui sont sensibles à la pression populaire et aux craintes légitimes des citoyens. 

Cercle des Européens: La Commission vient de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne pour déterminer la légalité du traité ACTA. Pourquoi cela suscite-t-il la colère des parlementaires européens ?

Marc Tarabella: Je ne vous cache pas que ce fut d'abord de la stupéfaction: la Commission européenne signe ce traité et se demande ensuite si ce qu'elle vient de signer est légal. De la part de l'institution la plus technique en Europe, c'est étonnant. Mais après décryptage, cela l'est moins. En effet en 2011, dans l'esprit des pro-ACTA, le traité devait être signé le plus vite possible et avec le minimum de vagues. Seulement, c'était sans compter sur le ramdam organisé par quelques députés socialistes et verts mais aussi sur le soulèvement populaire (Anonymous, associations citoyennes, ONG,...).

Le vote au Parlement européen étant devenu incertain pour les pro-ACTA, le plan B du commissaire De Gucht joue la montre et prétexte un nouvel éclairage juridique. En réalité, il ne cherche qu'à calmer la rue et faire oublier le traité. Une décision de la Cour européenne de justice prendra des mois et la perspective que les citoyens restent mobilisés durant toute cette période est nettement plus faible.

Avec d'autre députés, nous avons incité le Parlement à ne pas attendre la décision de la Cour. Un accord peut être légal mais rester dangereux pour le citoyen. Les députés ne votant que sur la dangerosité du traité, la décision de la Cour, même positive, ne conditionne en rien notre vote. La Commission européenne et les pro-ACTA ont alors compris que leur nouveau stratagème ne fonctionnait pas. Ils ont fait pression auprès des députés de droite pour que le recours en justice vienne du Parlement... car si cela vient de nous, nous devons attendre la réponse de la Cour et nous aurions été paralysé. Mais nous avons refusé.

Il y a de quoi être en colère quand certains essayent de museler la démocratie.

Cercle des Européens: Comme pour Hadopi en France, on oppose les défenseurs des artistes et des ayants-droits aux défenseurs des libertés individuelles. Ces deux préoccupations sont légitimes. Comment faire renaître le dialogue entre ces deux camps opposés ?

Marc Tarabella: On peut très bien concilier respect de la propriété intelectuelle et défense des libertés individuelles. Seulement, cela demande une concertation en amont, c'est à dire au début du processus et avec tous les protagonistes. Pas en aval quand tout est déjà décidé.

ACTA, c'est la mauvaise réponse à de bonnes questions. La contrefaçon et le respect de la propriété intelectuellet sont de vrais fléaux. Seulement plutôt que de faire un traité international élaboré dans le secret et incrusté ensuite dans le droit européen, il vaudrait mieux que l'Europe se penche sérieusement sur sa législation. Refuser ACTA n'est donc une première étape, la seconde est d'up-dater le droit européen en la matière, pour le bien des citoyens mais aussi des entreprises.

ACTA a mis en lumière deux choses:
- le citoyen a un vrai pouvoir de persuasion, les actions menées dans les rues européennes ont eu un effet.

- l'élection européenne n'est pas un vote pour rien car le Parlement européen est le seul directement élu par les citoyens et les matières sur lesquelles nous travaillons ont un impact considérable sur le quotidien de chacun. 


 

Informations sur Marc Tarabella
Fils d'un papa ouvrier carrier émigré de Toscane et d'une maman agricultrice, Marc Tarabella vit à Anthisnes, commune rurale de 4000 habitants en Belgique près de Lièges. Confronté dès son plus jeune âge aux réalités de l'agriculture et au monde rural, il a tout naturellement une fois élu au Parlement Européen en juin 2004 demandé à faire partie de la Commission Agriculture et Développement rural.

Durant ses études en faculté de sociologie à l'Université de Liège, il a participé à la remise sur pied du mouvement des étudiants socialistes. Il accède au maïorat d'Anthisnes le 1er janvier 1995 après avoir longtemps milité dans l'opposition. Il y sera réélu en 2000 et 2006. En juillet 2007, Marc Tarabella devient ministre de la Formation à la Région wallonne et Ministre de l'Enseignement de Promotion sociale et de la Jeunesse à la Communauté française.

Il redevient député européen le 16 juillet 2009, en remplacement de Jean-Claude Marcourt qui reste ministre à la Région wallonne et à la Communauté française. Il participe cette fois aux commissions de l'agriculture et du développement rural et du marché intérieur et de la protection des consommateurs. Il est également l'un des rares hommes membres de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres.
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